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J'ai cinquante-six ans. Je vais re-re-re-re-re-re-re- faire un gros effort pour exprimer ma souffrance d'une manière que j'espère suffisamment éloquente. Le psychanalyste en chef appartient peut-être au club des rouquins ? Je suis un souffre-douleur des cours de récréation de maternelle. La bétise s'y manifestait déjà contre moi et également contre un petit rouquin avec des tâches de rousseur, qui a fini par acquérir, dans mes souvenirs, une forme de sympathie rétrospective dont il n'a jamais rien su - hélas ! Il devait peut-être s'appeler Verny. Donc, les rouquins reçoivent ma sympathie d'emblée, sans devoir prouver quoi que soit.

De mon côté, je ne suis pas veinard. C'est lassant, cette volonté d'en rajouter avec des jeux de mots, n'est ce pas ? Ma vie ne les mérite pas, la réalité est terre à terre, à tel point que je ne la supporte plus.

J'ai vécu toute ma vie tout seul. J'occupe désormais un territoire minuscule, ma chambre, comme  un grabataire à bout de force.

Ici, j'entame mon catalogue. J'ai visité des psychanadadry depuis 1993. Savez- vous que certains méprisent leur patientèle ? Un peu comme les hommes politiques. Ce n'est pas très original. Mieux vaut s'avouer malhonnête qu'incompétent, tout en étant les deux à la fois. Le ressentiment, c'est une de mes spécialités. Tout cela devient si confus.

En lisant un livre basique de psychologie, j'ai cru saisir la source de toutes mes avanies à venir.

Maman ne m'aimait pas. Elle ne manifestait aucun sens maternel à mon égard, ne répondant pas à mes cris de nourrisson. J'ai failli mourir par manque de soins. Mon père m'a trouvé livide au fond de mon berceau. Il m'a emmené aux urgences. De là, une angoisse profonde, dûe à la défaillance de mon appareil de pare-excitation. Je ne me suis jamais confié à ma mère. Tous nos rapports sont inversés : je dois écouter ses besoins, et non l'inverse.

Ensuite, mon mère m'a battu, sans fournir d'explication. A tout moment, je pouvais recevoir une claque ou un coup de poing. Il cassait mes jouets, ou bien les donnait à mes voisins.

Je me suis refermé sur moi, n'ayant confiance en aucun adulte.

Je faisais pipi au lit. Il s'en est plaint au médecin de famille. J'en ai conçu une grande culpabilité.

Papa a voulu que je mange ma merde afin d'apprendre la propreté. J'ai oublié cet épisode pendant trente ans.

J'étais impuissant. L'idée de la pénétration, c'était forcément subir, être passif. Je me suis renfermé comme une forteresse jusqu'à devenir abscons. Intelligence sociale proche de zero.

On me jugea fou. J'ai vécu caché. J'ai fui la réalité. Echappant à la schizophrénie, je me suis bati un monde fictif, assez dérisoire dans la quelle personne ne pouvait avoir accès.

A l'idée de me confier, j'étais saisi de honte.

J'ai très peu travaillé dans ma vie. A peine était je maître- auxiliaire que je fus victime d'un jet de caillou dans ma classe.

Tout cela appartient au passé.

Le plus consternant arrive.

Bon, je vais me reposer.

A demain.

Il y a vingt-cinq ans, j'ai emmenagé dans l'immeuble où je vis encore.

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